Le dilemne formation initiale et formation continue

Laurent Davezies : Après plus de 30 ans d’enseignement, je constate un problème de « service après-vente », de passage de « deuxième couche » absolument nécessaire. Quand je revois les étudiants auxquels j’enseignais il y a 20 ans et que je me remémore ce que je leur racontais, si je faisais le même cours aujourd’hui, ce serait scandaleux.
Ce que je leur disais était vrai à l’époque, c’est faux aujourd’hui. On ne fait pas du grec ou de la philosophie, mais de l’aménagement, discipline dont les conditions, les modes de régulation, les représentations et les enjeux évoluent très fortement.
Comme le contexte économique change lui aussi de façon considérable – et ce n’est qu’un début –, il est nécessaire de développer la formation permanente. Pour la fin de ma carrière, je vais me consacrer à appliquer cette « deuxième couche », après avoir passé la première en formation initiale.
Vous participez, avec Bernard Dreyfus et Jean-Marc Macé [lire l’encadré ci-dessous], à la création du master « territoires ». Il en existe déjà des dizaines qui ont trait aux collectivités. Pourquoi un de plus ?
L. D. : En formation initiale, il existe trop de masters sur les territoires. Mais il y a peu d’offre diplômante en formation permanente. On a formé des milliers de jeunes professionnels à des métiers en fort développement depuis trente ans. Ces diplômés trouvaient assez facilement un emploi.
Ce sera plus difficile dans les mois et années à venir. On fera appel au personnel déjà en place. La demande des collectivités est latente. On voit des professionnels de 35-40 ans qui ont besoin de se mettre à niveau dans un domaine où tout a changé et où tout va changer.
Les formations initiales dispensées à Sciences-po Paris et dans les universités ne seraient donc plus pertinentes ?
L. D. : L’université française et Sciences-po Paris, dont je reste solidaire car je continue à y enseigner, forment actuellement trop d’étudiants sur les questions relatives aux territoires, alors que le domaine va connaître une inflexion inévitable.
Les recrutements ne vont pas s’arrêter, mais ils vont ralentir.
Aujourd’hui, se rendre utile, c’est améliorer les compétences et les connaissances des personnes en poste, plutôt que de former toujours plus de jeunes professionnels.
Sciences-po spécialise cent étudiants en master « stratégies territoriales et urbaines ». Les grandes écoles, dont l’Essec, sont également sur ce créneau. La concurrence sera terrible pour ceux qui arrivent. Il sera compliqué d’aller vers des emplois de qualité en aménagement.
Vos auditeurs seront-ils des territoriaux qui s’adaptent à la crise ?
L. D. : Ce ne seront pas seulement des territoriaux. Les professionnels qui travaillent dans des bureaux d’études ou des sociétés d’économie mixte, déjà titulaires d’un bac + 5, ont besoin d’actualiser leurs connaissances ou d’en acquérir sur des modifications réglementaires.
Les chambres de commerce et de métiers emploient des chargés d’études qui demandent à mieux comprendre l’univers multidimensionnel des questions territoriales : finances publiques, mode opératoire de projets urbains, géographie du commerce…
Ces personnes se sentent éloignées de ces questions, alors que la dimension territoriale des phénomènes économiques, démocratiques et sociaux est devenue omniprésente. Nombre de professionnels qui ne s’intéressaient pas à ces sujets souhaitent se former au niveau bac + 5.
A l’Ihedate, où j’interviens, les demandes de salariés d’entreprises implantées sur tout le territoire (La Poste, EDF, SNCF, Auchan, Carrefour…) se multiplient.
Bernard Dreyfus, vous avez rédigé un rapport sur l’évolution de la fonction publique territoriale en 2003. Partagez-vous l’avis de Laurent Davezies ? La formation continue peut-elle répondre aux besoins et contribuer à réduire les déficits publics ?
Bernard Dreyfus : Ces questions de formation sont cruciales. On a assisté à une explosion de l’emploi public local depuis 10 ou 15 ans, mais il faut arrêter ! Dans mon rapport, je proposais des formations obligatoires tous les 15 ans.
Aujourd’hui, une carrière dure 42 ans, 45 peut-être dans 10 ans. Si vous vous contentez de la formation initiale, vous êtes mort. La formation continue, c’est l’avenir, surtout si elle est diplômante.
Dans la territoriale, on a un énorme vivier d’agents de catégorie C. Certains sont proches de l’illettrisme, mais on y trouve aussi des bac + 3 à 5, souvent frustrés et démotivés, et des catégories A et B de qualité, mais qui n’arrivent plus à se projeter dans l’avenir.
Il y a une coupure entre ces catégories, de même qu’il y a un fossé entre les cadres A bloqués dans leur développement et les A +. Pourquoi un bon attaché principal ou un directeur territorial ne peut-il aller plus facilement vers des fonctions de direction générale ? Est-ce uniquement parce qu’il n’est pas administrateur territorial ?
Il va falloir trouver des solutions.
A l’inverse, nos collègues administrateurs devront accepter de revenir dans des communes de moins de 40 000 habitants, pour faire du terrain. Ce sont des enjeux pour l’avenir.
Comment venir à bout de ces clivages ?
B. D. : Il faut expliquer aux gens qu’ils peuvent progresser mais que cela demande une formation sérieuse et de la mobilité. Les enquêtes montrent que les agents de catégorie C ne bougent pas au-delà de 20 à 30 kilomètres.
Etant donné leurs salaires, il leur est difficile de déménager. Pour eux, ce qui sera déterminant, ce n’est pas l’augmentation du point d’indice, même si c’est important, c’est de pouvoir les aider en leur disant : « Vous n’exercerez pas le même métier toute votre vie, mais nous allons vous épauler, vous payer une formation, ainsi qu’à votre conjoint, le déménagement… »
Je suis moins inquiet pour les agents de catégorie A car les départs en retraite entraînent des recrutements, mais il faut veiller à ce que les personnes ne s’enferment pas dans une spécialité, sans bouger.
La loi «mobilité » du 3 août 2009 et celle du 12 mars 2012 prévoient des mécanismes pour faciliter les mobilités. Ceux-ci seraient-ils insuffisants ?
B. D. : La loi « mobilité » mentionne une seule fois le mot « personnel ». Cela en dit long sur la façon dont les réformes territoriales sont abordées dans ce pays.
On transfère des compétences, mais on se moque des hommes et des femmes. Et la loi de 2012 est conçue pour l’Etat, pas pour la territoriale, qui n’est toujours pas devenue majeure pour nombre de représentants de l’Etat.
On n’est pas allé assez loin sur les politiques sociales des centres de gestion et sur la mobilité. En cas de mutation, par exemple, qui prend en charge le compte épargne temps (CET) ? La commune qui voit partir un agent ayant 120 jours à prendre ? Ou celle qui recrute ce dernier, en lui demandant de venir au plus tôt ?
On ne s’est pas interrogé sur la mutualisation des CET.
Autre bombe à retardement : le droit individuel à la formation : 20 heures par an, cumulées depuis 2007, soit 120 heures, non prises dans la plupart des cas.
Comment les mutualiser ? Dans la territoriale, ces questions ne sont pas réglées.
Source : lagazettedescommunes.fr www.lagazettedescommunes.com , DORIAC M., BUSSIERE J., publié le 09/08/2012
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